Sophie Bassouls | Photographe | De ma chambre, chroniques / Photos volées

Sophie Bassouls
Écrivains, 550 photographies
Flammarion, Paris, 2001

Broché - 150 pages?> - 150 × 206 mm
ISBN 2082004953
550 photographies noir et blanc

En trente ans Sophie Bassouls a photographié plus de 3000 écrivains. Après avoir travaillé avec différentes agences de presse, elle couvre depuis 1986 l'actualité littéraire pour Corbys-Sygma. L'hommage est à chaque fois la trace furtive d'une rencontre : Calvino est à Saint-Germain-des-Prés une silhouette qui passe, Soljenitsyne apparaît sur le rideau dense d'une forêt, Auster est comme suspendu dans la fuite d'un escalier. Dans sa ville ou dans son appartement, dans le décor emprunté d'une rue, Sophie Bassouls sait à chaque fois apprivoiser l'auteur et raconter l'histoire brève d'une image mutuellement donnée.

Préface

L

es écrivains appartiennent à un monde à part. Un monde d'immortels qui savent exercer leurs pouvoirs et leur charme à distance. Ils peuvent nous emporter ailleurs dans leur univers, qui est parfois leur propre histoire. Qu'ils utilisent la langue de leurs bourreauix ou celle des poètes, c'est avec des mots lumineux qu'ils nous offrent les aubes d'été, les soleils mouillés ou le cœur des ténèbres ; en quelques lignes, ils agrandissent l'horizon, modifient tout du grand paysage. Et leurs images reviennent sans cesse nous hanter, nous enchanter, nous dégoûter et par-dessus tout nous instruire.
Pour cela ils semblent avoir chacun un truc : roman, essai, conte, poème… Mais au-delà de ce "truc", c'est leur art qui transfigurera le monde pour que celui-ci soit plus sordide ou plus beau, et pour que le voyage s'effectue dans le temps comme dans l'espace. Avec eux on peut se retrouver en prison, au couvent, au fond de la mer, au fond d'un lit. On vit au jour le jour, on vit la nuit, on boit d'énormes quantité de whisky, on peut réfléchir, on peut souffrir ou mourir. Parfois homme, parfois femme, parfois enfant… Noir, amoureux, roi, fou, et, pourquoi non ? Âne ou chien.
On réapprend le rire, le mal, les secrets du cœur, et du corps humain, les maisons musicales, les cimetières marins,. On recherche et trouve même parfois l'or caché sous tant de pourriture et sous tant de beauté (assise). On connaît la pitié, la force, la faiblesse. On a de l'humour, du charme et même de l'ennui.
Il y a fête à Venise, allons-y !
Toutes ces photographies que sont-elles au juste ? Un hommage ? Une collection ? Une bibliothèque illustrée ? Un travail de maniaque ? Y a-t-il perversion ? Est-ce sérieux ? Ludique
Je ne sais.
Madame Bovary n'est pas Flaubert, l'inverse cependant selon Flaubert lui-même serait vrai.
Voilà qui justement ne doit pas nous surprendre, puisque rien ne présuppose que l'œuvre soit conforme à l'auteur. Il y a sur ce thème bien des pistes croisées, entrecroisées, qui ne mènent nulle part.
Un livre est-il gravé au fond de son auteur
Oui, répond Baudelaire et la photo prise par Carjat : un visage si inquiet, inoubliable, qui éclaire cette lumière noire que dit sa poésie et la fait mieux comprendre.
J'ai souvent souhaité justement que le livre et l'écrivain se retrouve sur une photographie - comme sur celle de Baudelaire. Es-ce un rêve de penser pouvoir apporter un élément de plus à la compréhension de son auteur
Quand l'écrivain échappe à l'univers qu'il a créé, ou bien le tient à distance, le climat de la photo peut alors tenir lieu d'espace de rencontre, de lieu d'investigation possible pour le lecteur, espace à pénétrer sans violence, avec l'appui tangible de l'image, à la recherche de l'imaginaire de l'auteur.
M'introduire dans ton histoire
C'est en héros effarouché
S'il a du talon nu touché
Quelques gazons du territoire.
Ces vers de Mallarmé me semblent résumer l'affaire.
Que fait la photographe quand elle photographie
Elle commence souvent par une question :
"Puis-je fumer une cigarette ?"
Parce qu'elle ressent que la douce fumée, la lenteur du geste pourront atténuer la gêne réciproque, celle que tous les deux, l'écrivain et elle, feignent de ne pas ressentir. C'est le moment difficile pourtant. Un écrivain est une personne très "privée".
Bien sûr, il dit : " J'ai horreur d'être photographié."
Il le pense, c'est sa vérité vraie, en tout cas ce sont ses mots pour désigner cette menace enchantée (expression que j'emprunte à J.-J. Schuhl), ce quelque chose chargé de promesses à la manière angoissante des inconnus.
Par-dessus tout, alors, il faut dissiper la gêne, être certaine que l'écrivain a compris, avant de sortir ses boîtiers, qu'elle n'a pas de mauvaise intention.
À propos d'un autre photographe, Michel Tournier écrivait : "Il veut être là… admis, accepté, ayant passé un pacte d'amitié avec ceux dont il veut l'image."
C'est cela qu'elle espère.
La cigarette a brûlé.
Elle dira une ou deux platitudes.
"Clic"…
Contrairement à d'autres, je ne dirige en rien les poses. Je reste dans l'attente de ce qu'on va m'offrir. Après tout le modèle n'est pas idiot, il n'est pas davantage mannequin. Souvent expert en narcissisme il se connaît mieux encore que moi et s'est déjà interrogé sur sa propre image. Nous partageons tous deux l'idée complice de faire une photo, lui va s'approprier l'espace et elle, la photo, viendra toute seule se poser là où elle est attendue. Le jeu se joue soi-même comme avec l'autre, sur fond des hasards de la vie. Qu'il soit légitime ou exagéré (cela existe), le narcissisme trouve là un terrain exaltant d'expression.
Jamais je ne pourrai prendre une photo volée; le temps passé avec chaque auteur est un moment mutuel consenti , de cette entente, résulte une image mutuellement donnée.
Partant de là, je fais rarement des photos en gros plan qui en quelque sorte exilent le sujet d'une "histoire" ; un plan moyen ou large englobe l'atmosphère qui entoure l'auteur au moment de la photo. J'intègre donc volontiers des objets, des statues, le décor d'un appartement, et je laisse toute l'attitude à celui ou celle que je photographie de s'exprimer avec son corps, de laisser vivre ses gestes, sa silhouette.
Je redoute en fait souvent le gros plan parce qu'il décapite.

"La photo-portrait est un champ clos, de forces, disait Barthes, quatre imaginaires s'y croisent, s'y affrontent,si déforment. devant l'objectif, je suis à la fois celui que je me crois, celui que je voudrais qu'on me croie, celui que le photographe me croit et celui dont il se sert pour exhiber son art."
En fait ce n'est peut-être pas si compliqué.

La photographie s'accomplie dans une soustraction : elle supprime le mouvement, la couleur, le bruit, les odeurs. Elle n'a guère d'imagination, ni n'invente rien. Elle saisie ce qui est devant elle.
Rien que cela
Logiquement, elle ne sait pas mentir et pourtant elle a une vision bien à elle et qui souvent fait dire au sujet photographié :" ce n'est pas moi !"
C'est qu'à peine prise, elle évoque un moment qui n'est plus. Elle est romanesque à sa façon. Est-ce pour cette raison que les écrivains l'aiment et la redoutent autant

Pourquoi devient-on photographe
Pour occuper mal place derrière l'objectif et non devant. Michel Tournier pour le citer encore m'avait écrit un jour :"on ne photographie que soi-même." Cette phrase énigmatique, j'ai mis longtemps avant de penser qu'elle pouvait être vraie ; j'avais pourtant expérimenté, jeune, la sévérité des photos, le fait douloureux qu'elles ne parvenaient pas à me rassurer sur moi-même et me laissaent enfant, désolée devant l'image offerte.
Méfiance, prudence, fuir l'image.
Jusqu'au jour où, miraculeusement, ma sœur et moi devant la mer, nous étions sur une photo telles que je nous imaginais, telles que je "savais" que nous étions.
Beaucoup d'écrivains ont dans la tête une photos d'eux qui est déjà faite. Justement celle -là serait à prendre.

Il y a longtemps grâce à Jean Chalon et bien avant qu'il ne tienne sainte Thérèse dans ses bras, j'ai commencé à photographier des écrivains. Le premier, Henri Queffelec, ignora qu'il était en tête d'une longue liste, comme moi d'ailleurs. À leur insu, au début, simplement par leur accueil, d'autres écrivains auront encouragé montre étrange spécialité : Pierre-Jean Jouve, parce qu'il ne voulait être photographié pour le Figaro littéraire que par une femme ; Rezvani qui offre à mon Leica un objectif rare sans demander si je saurais m'en servir ; Michel Tournier , photographe lui-même, qui propose ses éclairages ; Gombrowicz, que j'imaginais inaccessibles, manifestent autant de curiosité que moi-même ; Jim Harrison qui me fait ce compliment : "The only photographer who never irritates me…" ; Jean Vautrin, toujours prêt, toujours accueillant, comme François Nourissier qui, préférerait pourtant partager la photo avec ses chiens.
Et Philippe Sollers, entre tous, celui qui s'amuse le plus (ou fait semblant) car il a l'art et la manière d'être en fête. Il dit des écrivains : "Ils continuent leurs aventures après la narration."
Oui ! Une photo !
À chaque rencontre il est un nouveau personnage, pour ce porterait en plusieurs épisodes qui s'élabore " Il n'arriverait pas à être sage comme doit l'être une image, anticipant en cela sur la mort ? Qu'essaie-t-il de dissimuler ? Sa main en train d'écrire derrière tous ces masques ?"
Multiples rencontres qui laissent traces aussi dans la mémoire.

Parfois, je m'en vais loin ; pour Marguerite Yourcenar je vais à Petite Plaisance, où elle me sert un repas sans le partager, avant de venir patauger dans la boue devant chez elle, dans la neige en train de fondre. Borges m'emmena vers d'autres confins, qui avec une certaine perversité me demanda de lui réciter l'Ave Maria en gaélique pour me confondre…

Les écrivains me fascinent, ce livre en est, je l'espère, le reflet. Il est aussi pour moi, une inclassable façon de dire ma reconnaissance. Je voudrais que se glisse entre ces photographies quelque chose qui pourrait ressembler au plaisir de lire.
L'hommage est bref, au 125e de secondes en moyenne, cela ne fait que 6 ou 7 secondes en tant réel pour toutes ces photographies !

Sophie Bassouls

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